jeudi 16 février 2017

Hommage au Dieu Apollon

Dans ma reconversion professionnelle du monde de la musique 'classique' au monde de l’assurance en 2010, le plus douloureux à vivre a été la méconnaissance du grand nombre de ce qu’est l’administration de la musique et des arts en général. Lorsque je dis que j’ai travaillé durant 17 ans au Staff de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, on me demande souvent si je faisais ça à côté de mon travail; dans mon poste actuel, on a eu tendance à vouloir m’expliquer au début comment faire une photocopie et prendre un message téléphonique…

Pareil pour les musiciens de l’orchestre, à qui on demande parfois s’ils font ça à côté de leur job. Il faut expliquer, expliquer et encore expliquer que le métier de musicien professionnel est un vrai métier, exigeant et éprouvant. Heures de répétitions; toujours il faut remettre l’ouvrage sur le métier, et le trac est à la hauteur de ce que l’artiste peut être exposé et mis à nu devant son public. Astreinte à la discipline, douleurs articulaires – les musiciens sont parfois assimilables aux grands sportifs ! S’ils sont fortement syndiqués, c’est précisément parce qu’il y a eu tendance dans l’histoire à les payer au lance-pierre, sous prétexte qu’ils exercent un métier qu'ils aiment.

Travailler dans la culture, dans un théâtre, dans un musée, dans un conservatoire, ce n’est pas une sinécure, un bénévolat pour dames oisives. En ce qui concernait mon occupation, il s’agissait d’assurer, avec mes 8-9 collègues et sous la houlette d’un administrateur-homme-orchestre lui-même, la parfaite organisation d’une centaine de concerts donnés annuellement en Suisse et dans le monde par un orchestre d’une quarantaine de musiciens : une PME en marche. Recherches de financements, gestion des personnels, du budget, logistique, lutrins, pianos, plateaux, partitions, tournées, publications, publicité, vente de billets, relations publiques, presse, auditions, relations avec les politiques, multiples réunions, etc. J’en oublie. Tâches vastes, complexes, délicates, stressantes. J’ai le souvenir de périodes « coup de feu » d’octobre à avril, où le téléphone ne dérougissait pas de la journée.

Administrer un orchestre, c’est un métier complet que je comparerais à celui de l’architecte, qui doit planifier à long terme et réunir de multiples corps de métier pour faire aboutir son projet. Au bout de tant de brassage de paperasseries, de négociations à l'interne comme à l'externe, la récompense, c’est … le concert, la musique ‘live’, les musiciens qui se sont faits tout beaux et qui s’animent, le programme imaginé trois ans en amont qui prend vie sous vos yeux et dans vos oreilles ! Un miracle en équilibre.
Le paradoxe est que pour ménager cette magie, l'activité des ‘petites mains’ doit rester invisible, en coulisses, c’est là toute l’ingratitude et à la fois la noblesse de ces métiers.

Les arts, la musique, c’est une marchandise aussi, qui s’échange, et lorsque vous avez 1'500 personnes qui ont acheté un billet de concert, elles ont une exigence légitime à «consommer» un événement à la hauteur de ce qu’elles en attendent. Sérieux, professionnalisme et qualité sont de mise.

J’en viens au vif de mon sujet : il m’est maintenant insupportable d’entendre certaines réflexions  - non réfléchies - sur les métiers de la culture ; souvent, ce qui est non-formulé, c’est que ce n’est pas un business vital, essentiel. Les arts seraient ‘inutiles’, un ‘luxe’. Or c'est le contraire ! La musique et les arts sont essentiels et nourrissent notre âme. Ils nous transcendent et malgré leur apparence éphémère, sont pérennes et transmettent l’esprit, la vie.

(Le parti pris de l''inutilité' de l'art nous vient de la société du profit, c'est idéologique. Il fut des temps ou l'on trouvait naturel de payer les heures de l'ouvrier qui embellissait un plafond avec une moulure, le tailleur de pierres pour ajuster longuement une voûte, le peintre pour parer un mur ou une église).

A l’inverse, je trouve qu’il est bien inutile, vain et polluant de construire et vendre à outrance des voitures, des frigos, des gadgets, des téléphones, des habits, de l’électroménager à la noix, toutes choses matérielles et superficielles qui finiront leur stupide vie d’objets inanimés à la poubelle, dans leur obsolescence programmée. La fameuse société de con-sommation n’apporte rien à l’humanité, au contraire, elle appauvrit les êtres et les asservit.

Courte vue ont aussi ceux qui critiquent la subvention publique dans les arts : elle permet justement de les rendre accessibles au plus grand nombre, puisque s’agissant d’artisanats de haut niveau, ils ont un coût élevé. La qualité a un prix, oui ; à partir de là, à nos sociétés de savoir ce qu’elles veulent léguer à leurs descendances : Justin Bieber ou Mozart, Lady Gaga ou Chopin, Rieu ou Chaplin, David Hamilton ou Goya (non, pas Chantal : Francisco), Paris Hilton ou Basquiat. Sans compter que les retombées tangibles, positives, de l’investissement public dans ce domaine sont avérées ; elles sont profitables à nos communautés, économiquement et culturellement.

Le meilleur des mondes… serait celui où, nécessités vitales minimales comblées (nourriture, logement, mobilité - je ne parle pas là de moyens de transport mais d'ouverture des frontières), les êtres humains échangeraient essentiellement de la musique, des écrits, de la poésie, des dessins, des idées, de la peinture… Mais je rêve.

A Bons Entendeurs, salut et considération.